La passion est un combat qui peut lier les êtres par violences consenties. Après le succès de son premier roman – « Les méduses ont-elles sommeil ? » primé par le Prix Renaudot Poche 2017 – Louisiane C. Dor revient avec un recueil qui dépeint les rapports humains avec honnêteté et justesse. « Ceci est mon cœur » comporte onze nouvelles comme onze rounds à l’honneur des sentiments vifs, l’auteure mène un assaut savoureux contre les turpitudes du cœur. Explications.
Tout au long de ton recueil, les personnages semblent dépassés par leurs émotions. On sent inévitablement de la souffrance. En amour, c’est le prix à payer ?
Ce n’est pas vraiment d’amour dont je parle dans ces histoires. C’est de la passion, de la perdition, parfois de la folie. Ce sont des personnages égarés. Ils vivent dans l’illusion la plus totale : l’illusion d’une relation qui n’existe pas, mais aussi l’illusion du monde et l’illusion dans le rapport à soi. Tous ces personnages sont des films, des idées. Que leur relation se concrétise ou non, ils empruntent tous de mauvais chemins : il y a, inévitablement, quelque chose qui cloche dans leur histoire. Je crois – et c’est ma vision personnelle des choses – que l’amour est un sentiment constant et serein. Sans conditions, sans jeu de séduction permanent. La passion – particulièrement quand elle vire à l’obsession – c’est différent : ça n’a ni queue ni tête, ça joue au chat et à la souris, ça peut vous faire péter un boulon. Et ça ne dure pas forcément. (Mais il y en a qui aiment ça, et j’en fais d’ailleurs partie.) Bien sûr, il y a des relations passionnelles qui débouchent sur de l’amour, mais ce n’est pas ce dont il s’agit dans “Ceci est mon coeur”. Dans ce recueil de nouvelles, ce sont des histoires hallucinées, ou nuisibles, qui aboutissent rarement à quelque chose de bon. Pour résumer, les personnages de mon livre sont complètement paumés.
“Mon but était d’écrire des histoires réalistes, dans lesquelles le lecteur puisse se reconnaître.”
Contrairement aux romans d’amour « traditionnels », je n’ai pas voulu faire rêver le lecteur à des histoires extraordinaires. Mon but était d’écrire des histoires réalistes dans lesquelles le lecteur puisse se reconnaître et se dire « Moi aussi, j’ai vécu quelque chose qui ressemble à ça. » Dans les films ou dans les romans sentimentaux, on nous donne souvent une image irréelle des histoires d’amour. Dans “Ceci est mon coeur”, certes le lecteur ne rêvera pas à de grandes idylles, mais il se sentira peut-être compris, voir rassuré. Je l’espère, en tous cas. J’ai d’ailleurs utilisé les prénoms de certains de mes lecteurs, qui se sont portés volontaires pour que je les utilise. C’est une manière de dire que les personnages de ce livre pourraient être vous tous – et qu’ils sont une grande partie de moi.
Dans la nouvelle « LOVE 2000 », tu mets en avant une forme d’incompréhension des désirs féminins de la part des (jeunes) hommes. Tu penses qu’il s’agit de l’effet de l’hypersexualisation, ou plutôt d’un manque d’éducation ? « Comment vont les jeunes filles en fleur ? Il n’y a plus de jeunes filles en fleur. Les garçons ne savent pas les cueillir » p31.
Pour écrire la nouvelle “LOVE 2000” – qui raconte l’histoire de Lucie, jeune collégienne amoureuse d’un “bad boy” et qui se sent obligée de coucher avec lui pour le séduire – j’ai pensé à moi lorsque j’étais au collège. J’avais tout juste quatorze ans que mes copines avaient déjà toutes couché. Moi, non. Et au lieu d’en être fière, j’en avais honte. Je mentais, je racontais que je l’avais déjà fait alors que c’était faux. À y réfléchir aujourd’hui, je trouve ça triste. Nous vivons dans une société où le sexe est si présent que quiconque est novice ou peu adepte est moqué. Je ne vous parle même pas des asexuels ! Que ce soit au niveau du sexe, de la beauté, de l’argent, nous sommes en constante concurrence avec les autres. Le monde dans lequel nous vivons nous demande toujours d’être davantage que ce que nous sommes. J’ai d’ailleurs choisi une citation de Françoise Sagan pour illustrer cette nouvelle : « On a aussi peu de liberté maintenant qu’il y a vingt ans : faire l’amour était alors interdit aux jeunes filles, maintenant, c’est presque devenu obligatoire. Les tabous sont les mêmes. »
Notre génération a connu l’apparition des tchats et des messageries instantanées. MSN, par exemple. Avec les sites de rencontres, on pourrait dire que malheureusement, l’image et la « mise en scène de soi » ont repris le dessus ?
Je n’ai que vingt cinq ans alors ce n’est pas évident pour moi de comparer l’amour d’antan à l’amour 2.0. Je n’ai rien contre les cyber-rencontres, mais il est vrai que choisir quelqu’un selon des critères précis, des cases cochées, une photo de profil, des listes de hobbies, me paraît surréaliste. Je ne pense pas que je pourrais rencontrer quelqu’un comme ça aujourd’hui. Je marche tellement au feeling, qu’une photo derrière un écran ne me parle pas du tout. Quoi qu’il en soit, ce monde est en train de devenir un technomonde ; les humains, des disques durs. Pour la “mise en scène de soi” je te répondrais avec cette citation du film « La belle verte » : “Pourquoi portez-vous du rouge à lèvres ?” -“Pour qu’on m’aime.” – “Alors si vous ne portez pas de rouge à lèvres, personne ne vous aimera ?”
À travers les différentes nouvelles, tu fais vaciller le sentiment amoureux entre le tiraillement et l’excitation. N’y aurait-il pas un parallèle avec la consommation de certaines substances ? (Le premier roman de Louisiane C. Dor racontait la vie d’une jeune toxicomane, ndlr)
Oui, c’est vrai ! Je n’avais pas pensé à cette comparaison, mais c’est une histoire de passion, tout comme la drogue et ses consommateurs : on idéalise la drogue, on la vie à fond, avant de se rendre compte (ou pas) qu’elle est nocive pour nous. Entre mon premier roman, « Les méduses ont-elles sommeil ? » et « Ceci est mon cœur », il y a un même sentiment qui revient : le besoin de se sentir exister.
J’aime beaucoup la nouvelle « Zappez-moi », dans laquelle tu montres toute la futilité de la célébrité liée à la télé-réalité. D’après toi, ces émissions ont de beaux jours devant elles ?
La nouvelle « Zappez-moi » parle d’une jeune femme, Paloma, qui, en mal d’amour et de reconnaissance, décide de participer à une émission de télé réalité. En effet, elle se crée toute une panoplie de fans, beaucoup de gens l’adulent, et Paloma se sent exister. Mais tout cet amour est construit sur du vide et les « carences affectives » de Paloma ne sont pas résolues. Parmi tous ces gens qui rêvent de devenir célèbres, il semble que beaucoup aient un manque à combler. Et puis, ça devient grotesque, tout cet engouement autour de ces starlettes : il y a des enfants ou des ados qui, quand vous leur demandez s’ils ont une idole, vous répondent par le nom d’un(e) candidat(e) de télé réalité…
J’ai remarqué que tes personnages ont souvent l’impression de ne pas être assez bien, ils se questionnent sur leur choix vestimentaire, ou l’attitude à adopter face aux autres. L’échec de leur relation ne vient-il pas de leur caractère un peu superficiel ? C’est comme s’ils devaient forcément mentir ou se cacher pour plaire.
Ce n’est pas une question de caractère superficiel mais de manque de confiance en soi.
La nouvelle « Pantin » raconte l’histoire de Stéphanie, éperdument amoureuse d’un pervers narcissique. On se rend compte au fil de la nouvelle que, si elle est tombée dans les filets de ce manipulateur, c’est parce qu’elle avait à la base un problème avec elle-même. C’est aussi ce que j’appelais précédemment « l’illusion dans le rapport à soi ».
La nouvelle « Genre » parle d’un garçon transgenre FTM, qui se compare sans cesse aux “hommes nés hommes”, et qui, de ce fait, n’a pas confiance en lui non plus.
« Jolie ≠ Jolie », c’est l’histoire d’une jeune femme qui se crée un personnage superficiel, inaccessible, presque cruel, pour cacher qui elle est vraiment : une personne sensible.
As-tu été marquée par une histoire d’amour en littérature ?
Je n’ai pas été spécialement marquée par un roman en particulier. En revanche, j’ai une très grande admiration pour Françoise Sagan, qui réussissait, avec un seul mot, à décrire un vaste sentiment. Pour moi, elle est la déesse des histoires sentimentales. Je pense particulièrement à son roman “Un certain sourire”, qui est l’un de mes préférés.
“Ceci est mon cœur” recueil de nouvelles par Louisiane C. Dor. Sortie le 1er mars 2018 aux éditions Robert Laffont.
Photo : Sadie Von Paris