Quand Rouge Gorge parle, sa voix semble déraper sur du papier de verre avant de ricocher jusqu’à nos oreilles. L’artiste n’a pas la vie simple et vous allez découvrir pourquoi. Le musicien salué par la critique m’a ouvert  les portes de son univers décalé.

On va s’épargner les jeux de mots autour de son nom de scène, ce serait trop facile et donc de mauvais goût. Robin, de son vrai prénom, dégage quelque chose de bien trop profond pour laisser filer une métaphore déjà élimée par la force d’usage.

Son enfance à Vitré (près de Rennes) a été mouvementé en grandissant avec ses trois frères dans une vieille maison. La musique est une histoire de famille, il commence par la chorale alors qu’il n’est encore qu’un gamin puis au chant lyrique quand pointe son adolescence. Il achève sa formation avec le conservatoire, ce qui lui permet d’assoir sa technicité vocale. Lier la technique et la connaissance de la musique permet de puiser la création à travers des inspirations très diverses. De Bach à Etienne Daho, de la musique allemande à la New Wave, il cumule les références qui vont lui permettre de proposer des morceaux originaux et inspirants.

Robin paraît discret, il exprime une forme de quiétude que l’on retrouve dans son personnage de scène : « C’est à dire que je ne suis pas forcément hyper à l’aise avec l’idée d’assumer mon égo. […] J’aurais du mal à jouer un rôle qui n’est pas du tout moi. C’est un rôle de composition avec mes propres affects, avec ma propre timidité. Cette posture joue pas mal avec le coté introverti. »

On ne peut pas parler de son parcours sans évoquer sa maladie. Un lupus, maladie auto-immune qui a créé un changement radical dans son existence. Sa maladie impacte sa vie sous la forme de crises. Entre son premier (Rouge Gorge, 2018)  et son deuxième album (René,2019),  il subit un coma, grave au point de devoir réapprendre à chanter : « J’étais sous intubation durant ma perte de conscience. Ça a été dur pour moi de me retrouver avec un nouvel instrument. J’avais des souvenirs de la technique vocal mais je n’avais plus les outils. »

Je ne me rappelais pas de tous mes proches, même pas de mon frère au tout début.

Le chanteur geek s’en fout du rock, il est un roc et me décrit l’épreuve de la maladie avec une force sidérante : « Au réveil, j’étais amnésique assez fortement, je ne me rappelais pas de tous mes proches, même pas de mon frère au tout début. Ça passe vite après, ta mémoire se refait d’heure en heure, de jour en jour, de mois en mois. C’est une expérience marquante, c’est surréaliste. Tu sais que tu connais les gens mais tu ne t’en rappelles pas. J’ai un rapport avec certains souvenirs qui est un peu étrange. Je ne ressens plus un souvenir intime parfois. Comme quand tu tombes sur des photos de ton enfances tu crois t’en souvenir alors que tu reconstruis. J’ai toujours un blanc total, une espèce de forme de protection pour ne pas être trop choqué. Toute la période de cette crise de santé, j’ai une espèce de blanc jusqu’à après mon coma et avant que la grosse crise arrive. C’est des mécanismes naturels dans des situations traumatiques. »

Sa pop lunaire façonne une musique envoutante. Son monde est onirique, mystique en apparence. En fait, il est mélancolique, il évoque l’enfance, invoque l’innocence notamment avec son titre Les primevères des fossés. « J’ai toujours l’impression quand je la chante, d’être au milieu d’un truc nébuleux qui évoque quelque chose sans s’y arrêter. Maintenant, je commence à avoir une idée de ce qu’elle représente. On m’en parle souvent, ça touche les gens. Chacun à des endroits différents. »

Je ne comprends pas pourquoi c’est plus cool d’être un salaud.

Il s’adresse avec une prosodie rocailleuse qui se mélange à une intonation naïve mais ses propos directs sont faussement inoffensifs (Allez-vous-en). Je lui fais remarquer qu’il y a une sorte de positivité récurrente dans l’esprit de ses textes. Ce à quoi il répond : « Je ne comprends pas pourquoi c’est plus cool d’être un salaud. Ça m’énerve un peu. Regarde l’audimat’ que fait Touche pas à mon Poste ou des trucs comme ça. Je ne comprends pas pourquoi on plébiscite autant des gens qui agissent comme des connards. Je n’ai pas de velléité à être politique. La gentillesse entre les gens est plus fertile que l’inverse. »

Ses productions musicales faites de synthés et de boites à rythmes manifestent un travail artisanal qui participe au cachet de cet artiste indé. Issu de l’improvisation, il préfère rester seul pour se jeter dans le vide. Il s’extrait du néant pour exposer sa fragilité avec un talent qui ne laisse pas un public indifférent.

Pour être honnête, j’ai bien du mal à parler de Rouge Gorge sans être bouleversé. J’en ai la gorge serrée. Ok, c’est un jeu de mots, promesse non tenue pour ma part mais pour la sienne, écoutez-le. Allez-vous-en !

 

Texte : François Gaugry

Photo : Titouan Massé